ENTRETIEN
D’où viens-tu ?
Sasha Grey – Sacramento, Californie. Une ville agricole. Ma famille se situait plutôt dans le tiroir du bas de la classe moyenne.
Ton adolescence ?
Rebelle, tout d’abord. Puis des tentatives amusantes de vouloir être une hippie. Pour finir par vouloir être une femme indépendante.
Quand et comment as-tu rencontré la porn culture et la sexualité ?
Vers 16 ans, pour mon plaisir personnel, avec rapidement le sentiment qu’il y avait là un pont créatif qui était un peu en jachère. Qu’il était possible d’y faire évoluer les choses. Je
considère d’ores et déjà la masturbation comme du sexe en vrai, en dépit du fait que ce soit solitaire, ou peut-être justement parce que c’est un acte solitaire. J’ai dû commencer à me
masturber vers l’âge de 12 ans. Puis première relation à 16 ans. Rien d’anormal.
Deux jours après ta majorité, tu as commencé à tourner des pornos. N’était-ce pas un peu précipité ?
C’est peut-être l’impression que cela donne mais j’étais totalement déterminée à me jeter dans cette industrie, c’est une décision que j’ai prise en toute conscience. J’avais fait mes recherches sur le milieu du porno pendant sept mois, je savais précisément à quelle porte frapper. J’ai mis de l’argent de côté, pour pouvoir me tirer de chez moi en totale indépendance. Montrez-moi une gamine de 17 ou 18 ans qui soit indépendante, et non assistée par papa et maman… L’Amérique est un endroit particulier : nous n’avons pas de bourses pour les arts comme dans d’autres pays. Si tu veux imposer ton art, il faut le faire par toi-même.
Une phrase, “Punch me in the stomach”, adressée à Rocco sur ton premier tournage, a fait de toi une star en quelques secondes…
Ça m’agace un peu, toute l’histoire de cette phrase. Elle a été tirée hors de son contexte et c’est déplorable. Il fallait voir ça comme un exercice d’improvisation fantasmatique, aucune
volonté de me faire remarquer.
Anna Karina ?
Le talent d’actrice à l’état pur.
Vini Reilly ?
J’adore sa voix, et on devrait botter le cul de l’imbécile qui a conseillé au leader de Durutti Column de ne plus chanter.
Genesis P-Orridge ?
Un artiste transgressif, en construction et hélas totalement incompris.
Antonioni ?
L’avant-garde. Son imaginaire visuel nous inspire tous, et de toutes parts, non ?
Le gonzo pour toi, c’est plutôt Hunter Thompson ou bien John Stagliano ?
Disons que ce bon docteur Thompson aurait pu faire d’excellents films pour adultes.
Belladonna ?
La première pornstar alternative. Un modèle.
Comment, à 18 ans, avais-tu cette culture très sophistiquée ?
Je vois des films depuis que je suis toute petite, j’adore ça. La collection DVD Criterion a beaucoup compté dans ma cinéphilie. J’ai eu un vieux prof de théâtre aussi qui m’a beaucoup appris.
Pour la musique, le site brainwashed.com et quelques amis ont fait mon
éducation.
Sasha Grey, c’est pour Fade to Grey de Visage ?
Ah ah ah ! Non. C’est un hommage au Dr Kinsey, et à sa “zone grise” entre hétérosexualité et homosexualité, et aussi à Oscar Wilde.
On se demande ce que tu partages avec les autres actrices de l’industrie du porno. Elles n’ont pas l’air très branchées contre-culture…
C’est encore un des nombreux malentendus que génère ce milieu. Vous seriez surpris.
Te sens-tu proche des mouvements comme les SuicideGirls, ou d’autres ?
La culture très ciblée, de niche, sert son propos un temps, mais avec les années l’affaire est vite saturée, et l’idéologie se perd de loin en loin… Les SuicideGirls n’y ont pas échappé.
Tu te considères comme quelqu’un d’extrémiste ?
Je me considère comme un individu.
Ambitieuse ?
Un peu beaucoup.
La pub où tu posais nue pour la marque American Apparel fut ton premier pas hors du porno ?
Non, pas vraiment. J’avais déjà fait des photos pour Vice, et joué au mannequin pour la marque Louis Verdad. Ce fut un pas de plus vers une autre visibilité, rien d’autre.
Tes rôles dans des films indépendants, ces photos pour une presse plus mainstream, ce sont des choses dont tu te sers pour sortir du porno.
Sortir du porno, sûrement pas. Dans la mesure où je ne fais pas la distinction entre mes activités dans le porno et mes activités en dehors. Je regarde toute occasion comme une nouvelle façon
de diversifier mon talent et mon business.
Le porno est un acte politique ?
Je crois dur comme fer que quiconque qui se situe à l’intérieur d’un marché compétitif adopte un point de vue politique. Dans le porno, tu dois dealer avec le politique au jour le jour. Les lois sont tellement évasives, floues, que tu peux aller du jour au lendemain en taule pour avoir bafoué des règles, sans contours précis, et qui donc n’existent pas réellement.
Tu considères le porno comme une énergie au sens où Johnny Rotten (Sex Pistols, PiL) pouvait parler de la colère comme d’une énergie ?
PiL ! Super référence, Rise est un morceau que j’écoute beaucoup, et souvent avant de tourner… Oui, je considère que tout dans la vie est énergie, c’est ça ou bien les choses vous sucent comme des vampires.
Comment es-tu entrée en contact avec Steven Soderbergh ?
Steve et son coscénariste Brian Koppelman se sont intéressés à moi après avoir lu un article dans un magazine. Il m’a résumé le film ainsi : ce serait un film sur une escort girl dont le plus haut tarif est celui de la “girlfriend experience”, mais elle est prise à son propre piège en tombant amoureuse d’un client pour lequel elle quitte son copain.
Tu connaissais le travail de Soderbergh ?
Les précédents films de Steve ? Oui, j’étais fan. C’est pourquoi j’ai accepté ce rôle d’escort, je pouvais lui faire confiance. Venant d’un autre, j’aurais hésité. Les raccourcis, tout ça…
Toi-même, tu oserais le parallèle entre prostitution et pornographie ?
Moralement, pour une actrice oui, cela relève de la même chose. Mais à la fin de la journée, entre la prostituée et la pornstar, il y a des différences notables : l’art, l’absence d’art, l’anonymat ou la surexposition, les territoires de la légalité…
Tu vois des différences entre le porno et le reste de l’industrie cinématographique ?
Oui. Il y a trois degrés de différence qui les séparent : le mérite artistique, la légalité, la pénétration.
Où vis-tu ?
Los Angeles.
Tu te nourris de quoi, en ce moment ?
Le Niandra LaDes and Usually Just a T-Shirt, de John Frusciante (album solo d’un ex-guitariste des Red Hot Chili Peppers – ndlr). Hier, je regardais un documentaire génial sur la typographie : Helvetica. Et la poésie de Nietzsche : The Peacock and the Buffalo.
Tu es la girlfriend de quelqu’un ? Tu arrives à gérer ton couple avec le X ?
Oui, je suis avec quelqu’un. Dire qu’une relation “ouverte” est ironique, comme je l’entends à tout bout de champ à propos de mon couple, est l’exemple criant de la nécessité pour notre société d’avoir des discussions plus honnêtes quant à notre sexualité. C’est à chacun de rendre son couple compatible avec sa vie, que l’on soit dans l’industrie du X ou pas...
Comment te vois-tu dans trois ans ?
Je me vois continuer à jouer un rôle vital dans l’industrie du X avec la maison de production que je suis en train de mettre sur pied. J’ai envie de continuer de jouer dans des films indépendants, d’en produire également, et aussi de consacrer plus de temps à ma musique.
Il y a un endroit où tu aimerais vivre, idéalement ?
L’herbe est toujours plus verte ailleurs. Je rêve quelquefois de tropiques, d’une vie en Suisse, ou à Montréal…
Girlfriend Experience de Steven Soderbergh, avec Sasha Grey, Chris Santos (E.-U., 2009, 1h15), en salle depuis le 8 juillet
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